Il faut distinguer la genèse passive et la genèse active. La genèse passive précède…

BONIMENTS
BONIMENTS, genèse
Dans Le nouveau monde, livre collectif paru chez Amsterdam en 2021, j’ai donné un texte synthétique, mais aussi cinq petits textes dans la partie que les coordinateurs du livre appelaient « Mythologies », en référence au fameux livre de Barthes. Ces mêmes coordinateurs m’ont suggéré d’écrire une vingtaine d’autres mythologies. Ces jours-ci parait le livre qui en est résulté, Boniments.
On y retrouve, en plus desdites cinq mythologies, remaniées parce que ça me démangeait (Prendre son risque, Résilience, J’assume, La série, Mercato), les entrées suivantes : Libéralisme, Option (ce n’est pas une), Choix, Contrat, Privé, NFT, Video Assistant Referee, Écosystème, Géo-ingénierie, Trottinette, Réputation, Transclasse, Job (faire le), Puissante, Inclusion, Sans totem ni tabou, Confort (sortir de sa zone de), Compétences, Huit fois debout, Burn-out, Trouble, Edutech, Legging, Néolibéralisme, Borne , Phone, TikTok, Gobelet, Machine à café, Sans contact, Algorithmes, Piéton, Territoires, Tiers-lieu, Transition, Netflix , Novlangue
Le livre a été pensé pour se lire dans l’ordre. Mais l’auteur ne se fait aucune illusion sur la capacité du lecteur à réprimer sa pulsion de se jeter sur l’entrée qui lui fait envie. Le lecteur est un individu peu fiable. On s’en passerait bien.
En exclusivité pour le chantiers autonomes, voici aussi quelques entrées auxquelles j’ai pu songer un temps. La plupart sont finalement traités, mais à l’intérieur d’un fragment : Assistanat, Charges, Flux, Logiciel (changer de), Facilitateur, Pronote, Conseil (boite de), Bracelet (brésilien), Tuto, Référent, Fidélité (carte de), Reporting, Validé, Semi-conducteurs, Batteries, Fondation, Individu, Point relais, 5G, Drone, Effondrement
J’avais pensé aussi à une entrée Beyonce. On y aurait analysé la campagne de pub pour Tiffany, où la Reine – des boutiquiers – se met en scène avec son Roi. On y aurait salué, avec respect et admiration, ce couple devenu un fait commercial total. Ça reste à faire.
Je suis donc une lectrice peu fiable car je n’ai pu m’empêcher de commencer par les entrées “Tiers-lieu” et “J’assume” avant de tout lire dans l’ordre proposé. Je constate que ce sont les expressions qui m’agacent le plus qui m’ont attiré en premier, à croire que je n’ai rien retenu de la lecture de “Notre joie”.
Comme à chacun de tes livres, j’ai alterné entre rires et réflexions et le termine avec la sensation d’avoir posé des mots sur mes ressentis.
merci pour l’honnêteté de cette confession. faute avouée pardonnée
Je vais faire pire encore : conseiller de commencer par Novlangue qui est une introduction parfaite à ce livre, puis reprendre à Libéralisme jusqu’à relire Novlangue pour qu’il garde sa position conclusive, contre les instructions de l’auteur, donc.
Indirectement, on comprend mieux ce que tu viens de faire pendant 200 pages et ce qu’il est permis d’en espérer politiquement; cette apparente modestie qui est plutôt un point d’honneur mis à ne pas se raconter d’histoires, participe de l’élégante lucidité de l’ensemble.
Nous rendre attentifs à des faits de langues, en restituant leur généalogie mercantile, leurs contradictions, la confusion qu’ils dissimulent, est éminemment utile.
Ton travail est de ceux qui permettent d’éviter que l’impuissance politique ne se double d’une soumission intellectuelle. C’est peu mais c’est énorme. Cette langue que nous avons dans l’oreille et parfois dans la bouche et qui s’impose aussi aux dominants est “passée au crible” d’une lucidité joyeuse. Tu nous convie par la légèreté de ton ironie à nous moquer de la bêtise de ceux qui n’ont pas conscience d’être dominés par cette langue.
Si la légèreté provient du rire politique authentique que tu proposes, elle est aussi attribuable à l’utilisation que tu fais du matériau fictionnel. La narratif et le descriptif prennent une grande place, à l’appui de l’élucidation théorique mais parfois au point de s’affranchir de leur mission. C’est un trait de ta méthode ou de ta poétique : on ne sait plus.
Cela produit un rire armé théoriquement et politiquement. Légèreté et élégance en surface irriguée par une pensée sophistiquée en profondeur. Un peu comme le ridicule linguistique que tu affrontes est arrimé aux solides structures de la domination.
J’aurais dû écrire “tu nous convies” et préciser que l’ouvrage ne porte pas que sur une collection de faits de langue. Certaines entrées sont dédiées à des faits sociaux. Il y a un réseau sous-terrain qui met en relation ces entrées : typiquement une critique de la notion de liberté dans la pensée de droite; également une mise en évidence de pièges de la pseudo-critique (de gauche et de droite).
Si la qualité du livre s’évalue à la qualité du commentaire que tu en fais, alors j’ai du écrire un sacré truc. Tu as parfaitement saisi le coeur de la bête. Et c’est peut-être finalement une très bonne idée que de commencer la lecture par novlangue, pour immédiatement remettre la langue à sa place (et la déconstruction de ladite). J’en viens presque à me dire qu’il aurait été possible de placer ce fragment en premier.
Moi j’attends avec impatience que Decitre m’envoie un sms,ils ne l’ont toujours pas…Par contre y a une belle pile pour Cher Connard!
Tony, je l’ai moi aussi commandé chez Decitre après ne l’avoir trouvé nulle part dans les librairies de ma ville (dont Cultura et la Fnac) et ils l’avaient bien en stock. Livraison dans une semaine. Tu devrais aller re-jeter un oeil.
eh oui, talent oblige
Je suis en train de le lire, dans l’ordre comme un bon élève, et je suis davantage convaincu que par les cinq mythologies du Nouveau monde qui me semblaient plus macron-centrées et attendues (notamment concernant le vocable résilience qui est maintenant critiqué par toute la gauche critique ou presque). J’aime beaucoup que les analyses passent par du récit précis, très documenté (je vois d’ailleurs peu d’écrivains pratiquant la forme essai être aussi documentés sur le monde du travail), on est très loin des généralités grossières voulant se payer l’époque.
Je reviens sur l’usage du mot liberté. J’ai l’impression que tu as radicalisé ou précisé ta position concernant le concept. Il y a encore quelque temps tu pouvais faire droit au mot en précisant qu’il n’avait de sens qu’adjectivé ou avec une proposition : liberté d’expression, liberté de manifester etc. Dans ce livre, tu récuses complètement son emploi. Soit la liberté existe et elle ne peut être qu’absolue, et donc sans préposition qui la circonscrit, soit elle n’est pas, la liberté ne pouvant concevoir de limite. Je crois comprendre que tu vides complètement le concept dans sa version philosophique et tu ne retiens plus qu’un aspect politico-juridique s’exprimant par des droits particuliers (les droits de faire ceci ou cela pris dans un ensemble de normes les encadrant et donc les limitant) qui ne peut se prévaloir du terme de liberté. J’imagine que si tu abandonnes complètement le mot, c’est pour éviter la confusion, pour empêcher qu’on puisse encore se prévaloir de sa connotation positive, celle-ci étant le cheval de Troie du libéralisme économique. Je partage cette rigueur bien que je me demande si on ne doit pas garder parfois le mot, dans son versant libre arbitre, pour son usage performatif, autrement je me demande comment fonder une action politique, une émancipation. Ca me fait à ce que dit Rancière sur les Droits de l’Homme. A rebours de la critique marxiste qui les a tenus pour nuls et non avenus, Rancière remarque que le mot égalité, mis au pinacle par la Révolution et inscrit dans l’ordre juridique depuis, ce n’est pas rien, que cela a pu permettre des émancipations. Que si la Déclaration des droits de l’homme que les hommes naissent libre et égaux en droits, ça donne une valeur à l’idée d’égalité même si elle n’est pas constaté effectivement. Ca peut créer une forme d’émulation, de stimulation des affects égalitaires. Il pourrait en être de même avec le mot liberté.
Je suis partagé. Je vois bien cet efficace performative – beaucoup de mots ont, en politique, cette efficace là- mais j’entrevois immédiatement qu’un combat impulsé par ce mot s’exposera à de graves soucis dans un deuxième temps. Autant immédiatement s’armer des bons mots – des mots pertinents, veux-je dire. Des mots qui disent quelque chose.
Pour le reste tu as tout as fait raison, mais ce n’est pas tant que ma pensée se soit radicalisée sur la liberté, c’est plutot qu’elle s’est affinée, elle est arrivée à son point de netteté. Et si en effet je maintenais des syntagmes comme liberté d’expression, c’était déjà pour dire que dans le syntagme, liberté compte comme élément nul, et que c’est bien expression qui porte tout l’enjeu.
Il ne m’a pas échappé que la résilience est désormais bien repéré dans les radars de gauche, mais je ne suis pas sûr que tout le monde en ait fait, comme je le tente, un synonyme de soumission.
Après avoir écouté l’effectivement très creux volet 1 de la semaine Rancière (la faute à qui?), je reviens sur la question “dure” que tu soulèves : en gros, déterminisme et liberté.
1 Rancière dit bien, dans le volet 2 qui est meilleur, qu’il ne pose pas du tout le problème en ces termes – c’est à dire qu’il n’utilise pas le mot liberté (et fait un usage modéré du déterminisme, par méfiance de la clôture bourdieusienne.)
2 il n’y a aucune contradiction entre l’émancipation et la négation anthropologique de la liberté. Comme dit dans une conf sur le déterminisme (une cpnf de moi, je veux dire, à Lyon), le mouvement émancipateur est lui meme déterminé : il est déterminé socialement (le cas de mes parents transclasse), il est aussi déterminé affectivement, c’est à dire psychologiquement, physiquement etc. Si je voulais faire un mot, je dirais que c’est sans libre arbitre aucun qu’on se libère. Exemple : dans Arguments, le film projeté avant hier : des entendeurs de voix refusent la saisie psychiatrique de leur “pathologie” et s’auto-organisent horizontalement pour s’aider les uns les autres. Est ce là décision libre? Non, c’est un long processus, un long processus de souffrance (causé et par le mal et par le traitement médical) qui mène à un degré d’insupportabilité tel que ces corps s’extirpent de ce carcan et sont embarqués dans un processus d’autonomie. Toute émancipation fonctionne ainsi : non pas des décisions de l’esprit (liberté) mais des décisions du corps (au sens très large que je donne à ce mot). Ce que j’oppose donc au déterminisme étroit, ce n’est pas la liberté, c’est la vastitude de la vie du corps, c’est un système plus complexe de déterminations affectives. C’est ce que Bourdieu oppose au fond à la sociologie de Bourdieu (qu’il a quand meme tendance à simplifier, car Bourdieu est vertigineusement fin) : le pari que la vie est toujours plus vaste que sa formalisation par les savoirs (au sens foucaldien) sociologiques.
Personne ne le dit jamais à Rancière, et surement pas Mullman, mais 1 c’est un anarchiste profond 2 c’est un vitaliste (il tire son vitalisme de son socle chrétien – dont on ne lui parle jamais non plus)
Il n’y a pas de déterminisme “étroit” ou “complexe”. Le déterminisme est le principe qui permet de rendre compte de l’évolution d’un système compte tenu de ses conditions initiales et des ses lois de fonctionnement. Il n’y a qu’un seul déterminisme qui peut concerner des systèmes différents, qui eux peuvent être considérés comme “simples” ou “complexes” selon le nombre de variables significatives à prendre en compte pour le caractériser.
De plus, ce qui s’oppose au déterminisme n’est pas la “liberté” mais l’indéterminisme (un hasard pur, un événement sans aucune cause qui, pour certains, semble avoir été mis en évidence par la physique quantique).
Il n’existe pas non plus de “décision” puisque ce terme sous-entend toujours implicitement l’existence d’une “liberté” ou de “réelles possibilités alternatives” qui ne sont que des illusions. Il n’existe qu’un seul et unique processus continu. Ce qui existe n’aurait pas pu exister autrement et ce qui n’a pas existé n’aurait pas pu exister.
@François : oui, je me servais de Rancière pour donner un exemple d’une performativité politique d’un concept, en l’occurence l’égalité, en la transposant pour l’idée de liberté. mais je sais qu’il n’oppose pas déterminisme et libre arbitre.
Je comprends ce que tu veux dire sur l’émancipation sans libre arbitre mais quelque chose en moi résiste un peu. Si on te suit, il n’y a plus d’agent mais que des agis. Donc les décisions, les choix n’en sont jamais véritablement, il n’y a que des pentes qu’on suit et qui se sont faites suivant un agencement de faits et d’humeur à chaque fois singulier. Que des corps et plus d’esprit, ce qui a le mérite de la cohérence pour le matérialiste que tu es. Mais c’est d’une certaine façon, accepter que tout nous échappe peut sembler contradictoire avec une logique émancipatrice. Finalement, on ne s’émancipe pas, on dérive d’une norme à une autre – mais alors pourquoi donner une valeur positive à l’émancipation?
@charles
Il n’y a effectivement plus d’agent mais que des agis. C’est une réalité physique. Croire le contraire est aussi sérieux que de croire à la fée clochette ou au père noël. La notion de “choix” n’a ontologiquement aucun sens.
“Mais c’est d’une certaine façon, accepter que tout nous échappe peut sembler contradictoire avec une logique émancipatrice.”
Eh bien je redis que non.
“Finalement, on ne s’émancipe pas, on dérive d’une norme à une autre – mais alors pourquoi donner une valeur positive à l’émancipation? ”
Mais parce que tout simplement dans l’émancipation un corps qui se trouvait mal se trouve mieux. Un corps empêché se trouve moins empêché. Il n’y a pas gain de liberté (et d’ailleurs quel intérêt?) mais gain de vie, d’intensité. C’est sans doute l’apport fondamental de Spinoza, Nietzsche, Deleuze, en un mot du vitalisme : avoir déporté la question de la liberté à l’intensité.
Au fond les gens qui se soucient de liberté se soucient peu de la vie. Par exemple ils réclament avec vigueur la liberté d’expression mais au fond ne l’utilisent jamais – ou bien alors, très souvent, pour dire des banalités. La vie concrète ne les intéresse pas. Moi c’est ce qui m’intéresse. M’intéresse qu’un corps gagne en intensité vitale. Qu’il y parvienne “librement” ou par l’intercession d’un dieu, finalement peu importe.
Merci c’est très clair.
@françois:
Pour un peu moins de confusion:
Le vitalisme est une croyance mystique que rien ne démontre. Il n’y a pas une force mystérieuse qui ferait qu’on dispose de plus ou moins de vie selon les situations. On est en vie ou on ne l’est pas. Ce qui peut différer d’une situation à l’autre ce sont des sensations de plaisir ou de douleur, qui résultent des états cérébraux liés aux différentes situations, et qui elles peuvent être plus ou moins intenses selon les niveaux de neurotransmetteurs libérés. Et on peut très bien avoir une sensation douloureuse beaucoup plus intense qu’une sensation de plaisir, donc une “émancipation” n’engendre pas nécessairement gain d’intensité. C’est cela la vie concrète.
Ce qui t’intéresse n’est donc pas la vie concrète mais la version mystique que tu lui prête abusivement.
Pour moi la dernière entrée Novlangue a joué comme une clé : le livre n’est pas seulement une critique des mots du capitalisme et des situations forcément marchandes qui se cachent derrière – cela aurait été déjà savoureux – mais une critique des contestataires de gauche qui focalisent sur les seuls mots. Matière est redonnée aux mots, merci.
En tous cas merci pour Boniments et Arles, enfin des trucs à se mettre sous la dent, c’était pauvre depuis la dernière rentrée littéraire. Je file lire le dernier de Houria, la joie continue.
Bien vu. Le livre est à deux lames : critique des mots ET DES CHOSES des marchands, mais aussi critique de la critique – trop focalisée sur les mots, ou sur des objets dérisoires (trottinette), ou confondant critique et déploration, ou omettant de signaler le charme de la vie libérale (et sa sensibilité à ce charme). Omettant en somme de signaler que la critique est, pour une part, embarquée dans ce qu’elle critique.
Je regrette de plus en plus de ne pas avoir commencé par Novlangue
On capte bien le principe du leurre dans Trottinette. La comparaison avec le portable est parfaite.
Par extension, une trottinette peut aussi devenir les supposés privilèges des cheminots ou une allocation de rentrée scolaire avec laquelle une ingrate famille pauvre s’achètera une télé.
Je n’ai pas perçu la critique de la critique en revanche, avec mon langage j’appellerais plutôt ça la critique de la branlette intellectuelle, domaine dans lequel je sais que je devrais faire mon autocritique régulière.
Question philo – aimes-tu ou as-tu aimé lire Schopenhauer si tu l’as lu ? Question émancipation et déterminisme il se pose là. On pourrait dire qu’il fait le taf mais je ne veux pas l’insulter. En tous cas, il constitue – selon ma lacunaire culture – une passerelle inévitable entre Spinoza et Nietzsche.
La critique de la critique apparait justement dans Trottinette – mais tu as raison cela revient à dire que ce qui se croit de la critique ne relève que de l’humeur – voir le développement sur la déploration dans Notre joie.
La toute fin du livre est quand même une critique (riante) de la prétention de la critique à infléchir l’objet de la critique – ou à éveiller ses victimes.
https://www.youtube.com/watch?v=0a8kQnKx4og
Habituellement j’aime bien Frayssinet et son humour absurde. Dans cette vidéo, on retrouve le côté imprévisible de ses vannes (“si moi je veux mettre ma tête dans ma poche, c’est impressionnant mais teubé”) mais c’est au service d’un discours parfaitement congruent avec l’ethos libéral, à un point presque caricatural avec le bingo “sortir de sa zone de confort”, “prendre des risques” et vertus de “l’échec”. Certes, on est chez Mouloud Achour, mais quand même, retrouver un tel discours dans un sketch qui se veut décalé et surréaliste, c’est troublant et un peu déprimant aussi. C’est presque une promo parfaite pour le livre.
Il joue toujours comme ça, lui ? J’ai dû l’entendre parler quand il est arrivé chez Mouloud, et je peux jurer qu’il n’avait pas cette intonation “urbaine”, celle qu’on trouve désormais dans les pubs KFC qui bientôt seront réalisées par Romain Gavras — il a peut-être fait les mêmes études de marché.
Pour Boniments : j’ai lu dans l’ordre parce que je refusais d’être influencé par la table des matières de l’éditeur. Pour le reste : tout a été très bien résumé par Barthelby. Personnellement, j’étais ravi par les récits de fictions qui rappellent leur emploi dans D’âne à zèbre et qui prennent au sérieux les affects de la bourgeoisie, même quand ils sont mis en tension comme dans la partie consacrée à l’influenceuse (où le protagoniste n’est pas influenceuse). L’algorithme me reste aussi en mémoire parce que je n’avais pas lu ailleurs de texte traitant de l’ambivalence ressentie par rapport à cette technologie : à la fois un enfermement et une expansion de sa bulle personnelle. Donc oui : critique de la critique. Critique des automatismes de la critique.
Je pensais à d’autres mots possibles, comme “disruptif”, lu ce matin dans le Monde un directeur de programme se vantant d’être sorti de sa zone de confort en étant disruptif grâce à un hommage à Mylène Farmer. Ou “contenu” qui apparaît dans le livre, il me semble, mais qui mérite d’être exploré. Il m’irrite parce qu’il remplace d’autres mots. On ne fait plus une vidéo (déjà vague) mais du contenu. Une photo ? Du contenu. Une story. Du contenu. Devrais-je être irrité par un mot qui dit ce qu’il est ? La série télé moderne est un exemple parfait de contenu : ça coule, on ne la regarde pas vraiment, mais c’est suivi assidûment et appelle à encore plus de contenu. La forme parfaite du remplissage qui s’accommode de tout emploi du temps.
Ce qui me fait dériver sur le flop de Quibi ( contraction de Quick Bites : Bouchées Rapides) : c’est Jeffrey Katzenberg qui a participé à l’âge d’or de Disney en relançant les films d’animation, puis qui a fondé Dreamworks, qui a lancé cette application de contenu contenant des séries de quelques minutes accessibles sur téléphone portable. Flop monumental. Mais il reviendra nous dire dans quelques années qu’il avait été un génie incompris. Trop disruptif pour son temps.
Contenu c’est horrible et c’est partout mais ça ne va pas durer, c’est trop centré sur l’interet pour le producteur de contenu et ça ne dit rien au consommateur d’autre que le mépris qu’on a pour lui et pour ce qu’on lui enfourne dans les yeux. C’est un très mauvais boniment et je n’en reviens toujours pas que les marketeux se soient aussi vite jeté dessus en oubliant une regle d’or du bon vendeur : adapter son discours à sa cible. Contenu ça plait au financier, pas au consommateur. Je prédis que ça va devenir une insulte. Et en bon prescripteur je l’utilise déjà en insulte presque tous les jours. D’autres mots plus ambigus, plus classes, vont remplacer ça, en vidéo on entend déjà beaucoup “format”.
ah oui, document parfait de ce que peut vouloir dire une imprégnation collective
le mec est lucide sur plein de trucs – le bon comique qu’il est est par définition intelligent- mais rien à faire, il a chopé ces mots et ces “valeurs” comme on goberait des moucherons sans le savoir
bravo Charles Pépin ( révélation pour Chantier autonome, je gâte mes chouchous)
pour prolonger la réflexion, on pourra jeter un oeil (un seul suffit) sur le navrant docu de Jonah Hill sur Netflix
Disruptif est un peu trop répertorié, y compris par la critique (par exemple Meurice avait crée un groupe qui s’appelait The disruptives.)
En revanche “contenu” je regrette de ne pas l’avoir chopé. Ca se rapproche assez de “projet” tel que j’en parle à un moment – les musiciens qui ne sont plus sur la fabrication d’un album mais sur un projet. Tel cinéaste qui est sur son son nouveau projet, etc
Ah oui contenu c’est très fort. Je me serais bien amusé.
N’hésitez pas à m’en signaler d’autres, ça nourrira mes rencontres publiques , et pourquoi pas un Boniments 2 (que je n’écrirai pas, mais qu’un-e autre pourrait écrire)
J’ai aussi relevé “sujet” pour dire “problème”. On ne dit plus “ça pose problème” mais “c’est un sujet”. Je ne sais pas vraiment ce que cela recouvre, peut-être une euphémisation des conflits. Sujet qu’il faudra bien évidemment “adresser”.
Ca c’est assez vieux. Je l’avais noté dans La bonne nouvelle, en 2015
Récemment : on a un sujet de chomage.
J’ai repéré « cœur de métier »
Qui est assaisonné à toutes les sauces
Un peu comme les cœurs de laitue
En supermarché, et en sachet .
J’irai bien chercher du côté du développement de l’intérim.
Et je remarque que là où les liens entre les
Travailleurs sont malmenés, on leur en fait la promotion.
A voir si il y a quelque chose à tirer de cela
C’est très juste. Moins les emplois ressemblent à un métier (voir “Faire le job”), plus on déploie le lexique du métier.
D’ailleurs j’ai tendance à pas mal utiliser cette expression. Comme quoi il ne faut jamais se croire exempt de ce qu’on pointe.
Ce qu’il faudrait c’est un mec qui bosse à la fois dans l’Education Nationale et à l’hôpital.
Petit cadeau;
“En tant qu’enseignant-expert vous êtes à même d’étayer une équipe enseignante et de favoriser sa montée en compétences pour un accompagnement optimal du parcours de l’élève en situation de handicap dans le milieu ordinaire”. C’est un énoncé oral. Une phrase qui m’est adressée par un supérieur hiérarchique qu’heureusement je ne croise quasiment jamais.
En une milliseconde s’envisagent deux trois réponses possibles à cette agression: une frappe sèche dans la carotide de l’inspectrice suivie d’une phrase hurlée en me penchant sur son corps qui convulse; quelque chose comme “arrête d’insulter mon intelligence! “; une frappe sèche dans ma carotide pour me punir d’être encore là. Reformuler en espérant qu’elle puisse percevoir le ridicule de sa langue tunée; quelque chose dans ce genre : “en fait vous voulez que je donne des conseils à mes collègues quand je les croise parce que je travaille avec des élèves handicapés”
J’acquiesce. J’encaisse. Je vais lire un texte aux toilettes pour me laver de cette souillure.
Pour que l’on comprenne ce que cela dissimule et se dissimule : je ne suis pas formateur, je bosse avec des élèves handicapés, c’est tout. Le terme “d’enseignant-expert” fantasme une circulation horizontale de la connaissance du handicap qui va permettre magiquement d’accueillir plus d’élèves handicapés sans formation, classes adaptées, institutions hors éducation nationale.
Pour ceux, dont je suis, qui sont un peu casse couille sur la correction, “frappe dans la carotide” n’est pas très heureux. Je suis victime d’un usage fautif dans le milieu martial qui élude” la zone de “.
J’ajoute que je suis conscient d’être un peu hors-sujet de part l’excès qui caractérise cette phrase pourtant authentique; ce locuteur signale caricaturalement sa bêtise et le flou de sa langue par cette accumulation.
Ce qui n’empêchera pas la majorité de mes collègues d’employer bientôt “enseignant-expert”.
C’est-à-dire que tu es enseignant qui travaille avec des élèves handicapés qui sont livrés seuls en “milieu ordinaire” ? Je pose cette question parce que je recherche des informations sur AVS/AESH, qui ne sont pas considérés comme enseignants, je suppose. Le fameux “enseignant-expert” de l’inspectrice serait donc une manière de se débarrasser des aides spécialisées ?
Le fait que l’énoncé soit oral m’émerveille. J’ai toujours eu une haine des oraux scolaires en général, mais j’imagine que les oraux-experts parviennent à dire ce genre de phrase sans sentir le couac.
J’allais te poser la même question.
J’ai vu qu’il existait aussi des postes d’enseignants spécialisés qui sont mieux payés que AESH. Et je n’ai pas compris ce qui différait.
L’usage du mot optimal me fait toujours grincer des dents.
Dans le secteur du développement web où j’ai un temps évolué on trouve ce genre d’offres d’emploi avec des demandes de qualités humaines très précises, efficace pour stimuler la violence physique que tu décris (extrait) :
(…)
Notre Quotidien :
Télétravail partiel ou complet selon profil
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Tu développeras sur un Apple Macbook Pro M1
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Team Building : lancer de haches, stage commando, remote sur une péniche de luxe, etc.
Les diplômes nous importent peu. Nous recherchons avant tout des profils humbles et passionnés par le développement, curieux, empathiques, organisés, et prêts à se dépasser en permanence !
Profil recherché :
(…)
La sincérité, l’autonomie mais aussi l’auto-dérision et la bonne humeur sont des qualités incontournables pour rejoindre notre équipe.
Déroulement des entretiens :
Visio 30mn avec Jacinthe, CPO
Test technique + Visio/Rencontre
Rencontre avec Sylvain, CEO (1h à 2h maximum)
Aussi, je t’ai envoyé un mail intéressé ce matin. Il s’agissait de te chiper Piscine(s).
C’est un fake ou pas cette annonce?C’est difficile à croire en tout cas et,si ça existe,ça fait vraiment flipper,quel enfer ça doit être,faut surtout pas mettre les pieds là dedans.
Tony c’est bien une véritable annonce. Si tu vas te balader sur le site Welcome to the jungle / offres d’emploi tu en trouveras plein d’autres comme celle-là : https://www.welcometothejungle.com/fr/pages/emploi
Celle dont j’ai copié des extraits est parue hier.
Ah oui en effet,c’est une mine d’or,j’ai vu une annonce où ils offrent 3 séances avec une nutritionniste!(pour apprendre à se serrer la ceinture peut-être?)
Merci
Ton texte a fait rire
Une voiture remplie
De 3 filles
Peut être déjà vu, mais je n’en peux plus de la bienveillance…
Elle a pour conséquence de ne plus dire. Exit le conflit. Ne pas se fâcher, ne pas dire les mots… sinon je ne suis pas bienveillante., je ne suis pas en écoute et en compréhension de l’autre Il faut soigner son vocabulaire. Aspects délétères dans les collectifs : l’autocensure, la frustration, l’empêchement d’aller sur des terrains qui fâchent et empêchent les analyses politiques des situations.
La bienveillance de chacun réveille la violence de tout le monde empêché de parler.
Concept qui va pourtant de paire avec la communication non violente, et le “parler en son nom” (référence aux accords toltèques). : si je veux dire “tu me fais chier”, il serait préférable de dire : “quand tu tiens ce propos, je ne me sens pas bien, je ne me sens pas considérée”. La forme n’a t-elle aucune importance dans l’intensité et la teneur du message ?
Oui je crois que sur la bienveillance a fini par énerver tout le monde
ce qui, je crois, n’était pas l’effet recherché.
Contenu est plutôt honnête. On fabrique du contenu pour le contenant, on met une étiquette publicitaire dessus, fin. Les créateurs de contenu utilisent ce mot à bon escient même s’il est dégueulasse.
Si au lieu d’un film de Christopher Noman on parlait d’un contenu de Christopher Nolan, je trouverais ça franc.
Malheureusement je vois aussi un effet performatif sur le producteur, qui devient (plus vite, plus fort) producteur de contenus a force de parler de contenus.
mais il est justement assez courant que les mots de la domination disent assez bien ce qu’ils disent
la dissimulation n’est pas leur seule modalité
il faut juste bien entendre ce qu’ils disent
C’était une réponse à Barthelby
Oups
François,
J’ai toujours été très sensible à l’usage de (changer de) logiciel”. Où l’abordes-tu dans l’ouvrage?
Nulle part, pour deux raisons
-déjà trop recensé
-une raison inavouable : j’aime assez cette expression. Qu’on pourrait d’ailleurs tout à fait, techno mise à part, rapatrier dans la pensée radicale. Oui, pour sauver le vivant, il s’agit vraiment de changer de logiciel. Une pensée structurelle pourrait-elle rêver meilleure expression programmatique?
J’ai terminé Boniments dans l’ordre par Novlangue et je trouve ça bien de finir par ce terme car il apporte si ce n’est une nuance tout du moins une clarification en forme de pied de nez aux michéistes égarés (mais ils ne sont pas les seuls à en avoir besoin) qui seraient tombés sur le livre.
Je ne pense pas que le terme novlangue soit fait pour les intellectuels (même si j’imagine que c’est en partie par antiphrase que François le dit), dont le capital se fout très largement depuis 50 ans. “Sauvegarde de l’emploi” ne s’adresse pas aux universitaires de Paris 8 ou de l’EHESS mais aux DRH et aux salariés. Aux DRH, ça permet d’euphémiser leur travail et de mieux dormir la nuit, aux salariés qui le subissent, ça ajoute de la confusion, ça participe de leur démobilisation et de leur résignation. Ceci étant dit, il est tout à fait salutaire de rappeler à l’intellectuel que son travail critique n’est pas déterminant, que sa critique de la langue managériale est attendue (et ancienne) et finalement relativement inoffensive.
Oui, la moindre des choses, quand on met un orteil dans la déconstruction de la langue du pouvoir, est de rappeler que le pouvoir n’affecte pas d’abord les corps par sa langue.
En grève ce matin, mon mec se marre en lisant le Monde Diplo. Aucun lien de causalité cette humeur déconcertante et son oisiveté, il doit ce rire au texte Phone publié en dernière page du journal, “putain il est fort Bégaudeau”.
ton mec a bon gout en texte, et toi bon gout en mec
Et le Monde diplo a le bon goût de publier un de tes textes. Pas la première fois qu’il t’offre une page, c’est bien.
Et le Monde diplo a le bon goût de publier un de tes textes. Pas la première fois qu’il t’offre une page, c’est bien. C’est toi qui a choisi ?
non, c’est eux
Le titre met le lecteur sur une fausse piste et te file au passage une trentaine d’années supplémentaires, il n’est pas juste mais on l’oublie, reste le texte.
composé de deux fragments liés pour l’occasion
Crois-tu que je m’étais donné la peine de lire en entier cette page du Diplo ? même pas. Donc Phone + Algorithmes tu fais bien de rectifier.
J’ai aimé les deux textes en dernière page du diplo aussi. Ces 2 fragments sont assez homogènes, les 2 sont à la première personne. Un « je » qui est le narrateur, et un peu chaque lecteur qui a incorporé le libéralisme.
Formellement, les textes de Boniments me paraissent plus hétérogènes, avec des textes analytiques (Netflix) et beaucoup de récits, qui parfois s’entremelent, se font échos (Tony le pseudo de Jean, et le livreur qui se fait virer, Mme Luisfigo la concierge de Jean, et la concierge qui se fait virer, Alain le chat qui passe et repasse dans le coin), et il y a même les récits au carré que sont les récits de fictions déjà existantes (Rien à foutre, Girlfriend experience, film de Nakache Toledano, A most violent year, Justine de Ma Cruauté).
Les textes travaillent la violence objective dans le capitalisme. La violence objective du contrat imposé à Steeve. Absurdité de « prendre son risque » pour un possédant.
Cette violence objective est éprouvée et à la fois mise à mal par la littérature. Le narrateur ne se fait pas oublier : ces récits sont assumés en nommant les films de fiction, ou en mentionnant l’observateur caché derrière une roue, l’affiche punaisée d’une campagne contre le harcèlement (j’ai ri. Et au nom du lycée aussi). Les textes jouent et mettent le lecteur en éveil.
J’ai beaucoup aimé la malédiction de l’héritier (Jean, j’ai d’abord cru qu’il existait vraiment) et Réputation dont la dernière phrase est glaçante : « Dans la meme optique, l’auto-entrepreneuse proposait un premier date au MOMA, où l’on commenterait à deux voix les grandes œuvres du patrimoine, partagerait des sensations, échangerait des réflexions, ce serait le début d’une complicité, et, si ça matche, d’une relation sincère où l’argent ne soit pas le sujet, où les virements soient automatiques afin qu’on n’ait pas à en parler et que la conversation demeure profonde et authentique. » Tous les mots sonnent faux. Même mes vrais mots, ceux qui ne sont pas les mots du capitalisme. Même « complicité », même « sincère » sonnent faux, sont dévoyés. Comme les rencontres sont peut-être aussi dévoyée par l’appli. Le capitalisme dévoie les mots, et peut-être les choses, les rapports humains aussi.
Ces récits font parler les mots, regarde comment réagissent les corps, comment ils subissent et propagent le capitalisme, comment les mots du capitalisme circulent en nous et dans le livre d’un fragment à l’autre. Les boniments ce serait les mots hors contexte économique, hors considération matérielle, physique. La littérature ramène des situations, c’est elle le crible sec de la précision.
Le livre nous laisse sur « il est libre » on sait ce que vaut cette liberté depuis l’intro du livre.
Jusqu’à présent les essais, c’était « je » (dans Histoire de ta bétise, notre joie et comment s’occuper un dimanche), alors que peu de « je » dans Boniments, ou alors comme personnage parmi d’autres. Formellement, Boniments me rappelle parfois un peu D’Ane à zèbre.
Dans D’ane à zèbre, plusieurs récits (qui se répondent ou pas) dessinent un continent et des corps libertaires. D’ane à zèbre a été élu plus grand texte de François dans le non-roman. C’est la naissance de William Will. Il y a l’enfance, l’amitié. Gus. Et évidemment déjà Gueugnon.
Dans Boniments, plusieurs récits dessinent un continent et nos corps capitalistes. Ironie glaçante, c’est un autre ton.
Merde j’avais parié avec moi que personne ne signalerait le retour de Justine.
J’ai perdu. Je me dois 10 euros.
Pour le reste, oui plus ça s’écrivait plus je me disais que je reproduisais un peu l’hétérogénéité formelle de D’ane à Zèbre. Mais avec une marge de manoeuvre plus étroite, un périmètre thématique plus balisé, commande oblige.
(c’est marrant, du coup, que tu n’aies pas vu que NFT était une reprise de Mérite ; une reprise au sens Robbe-Grillet, ou Kierkegaard, ou un truc comme ça)
“Les boniments ce serait les mots hors contexte économique, hors considération matérielle, physique. La littérature ramène des situations, c’est elle le crible sec de la précision.”
Ça c’est vraiment la clé.
Ah mais oui putain, Mérite. quelle quiche.
Je ne connais que reprise au sens de Robbe-grillet, et d’Hervé Le Roux qui n’avait rien compris au concept, le pauvre garçon. Jamais lu Kierkegaard. C’était quoi l’interet de la reprise pour toi ? ou le plaisir de la reprise ?
Je voulais quand même évoquer le mérite, c’eut été un manque. Mais j’avais déjà pas mal donné dans le sujet, et puis il y avait ce fragment de D’ane à zèbre. Ma première idée a été de le reproduire à l’identique. Je n’aurais eu aucun scrupule à la faire, plutot de la malice. Et puis à le relire beaucoup de phrases m’ont déplu, j’ai commencé à le reprendre dans ce sens là (comme on reprend un vetement). Et puis il fallait le rafraichir (comme des cheveux, mais aussi le remettre à jour 9 ans après. Parallèlement j’explorais les NFT, et il m’a semblé d’un coup que ça pourrait très bien se caser là, en aboutissement-miracle du martyr de Jean.
“La Reprise” est un des trois volets de la trilogie autobio de Robbe-Grillet, dont je ne dis pas assez que c’est un des trois ou quatre grands écrivains français du vingtième.
Il y reprend des motifs, des lignes narratives.
Je ne sais pas si vous avez eu connaissance du texte de Dalie Farah.
Je glisse le lien ci-dessous
https://www.daliefarah.com/boniments-de-francois-begaudeau-les-mots-au-service-erotique-du-capital/
merci
elle me l’avait envoyée oui
On a lu par ici l’article sur “Boniments ” dans Le Monde? (j’ai eu accès seulement au début car je ne suis pas abonnée). C’est comment ?
Partage de lecture, suite de l’ article écrit par Youness Boussena :
– François Bégaudeau aime la langue. Il a été romancier avant de se faire essayiste, et punk anarchiste avant d’être romancier. La langue est donc son arme en même temps que son objet d’étude favori pour attaquer l’ordre libéral. Il s’en empare ici en réhabilitant le mot désuet de Boniments (Amsterdam, 216 pages, 13 euros). « Le bonimenteur n’est qu’à moitié menteur. Pour prendre, un boniment doit être un peu vrai. » La langue façonnée par le marché ne ment pas totalement : elle biaise seulement le réel en l’euphémisant. Un « plan social » comprend bien des mesures d’accompagnement, mais sans dire qu’il licencie avant. Ces boniments, l’auteur avait commencé à les disséquer dans la somme collective Le Nouveau Monde. Tableau de la France néolibérale (Amsterdam, 2021).
Ici, il systématise le procédé en s’inspirant des canoniques Mythologies (Seuil, 1957), de Roland Barthes. François Bégaudeau œuvre à la chaîne : l’ensemble ne compte pas moins d’une quarantaine de « maîtres mots de l’époque », chaque fois mis en scène à travers des attitudes, des affects, des situations. Si ce nombre impressionne, c’est que toutes ces chroniques sont portées par une admirable dextérité narrative qui les rend souvent jouissives, même lorsqu’il vise moins juste. On y trouve des incontournables (« Libéralisme », « Résilience », « Transition »), des moins attendus (le gobelet en attribut du cadre surchargé, le transclasse comme « déclaration d’amour à la classe dominante ») et des tropismes de ce critique de cinéma (« Netflix », « La série ») et amateur de football (« Mercato », « VAR »).
Lecture marxiste
Formules qui claquent, images qui marquent : Boniments confirme que François Bégaudeau a trouvé, dans ces essais modelés en écrivain et non en théoricien, la forme qui lui réussit le mieux depuis Histoire de ta bêtise (Pauvert, 2019). A travers ce réquisitoire contre la « bourgeoisie cool », il aiguisait une critique ensuite étayée dans Notre joie (Pauvert, 2021). Cet ensemble varie autour d’un axe : réhabilitant la lecture marxiste de classe, il critique le « capitalisme intégral » régnant sur nos vies et « l’ordre libéral-autoritaire » qui, d’Emmanuel Macron à Eric Zemmour, unirait la bourgeoisie contre toute remise en cause de cette hégémonie.
Cette base alimente son principal grief contre la pensée libérale, analysée comme un ciment idéologique hypocrite, destiné à falsifier la brutalité du réel : « L’individu libéral est tout entier modelé par une méprise qui est une extrapolation. Il extrapole son existence non violente en conviction que la modernité occidentale garantit la non-violence. » Pour autant, François Bégaudeau ne s’exonère pas. Si la pensée marchande s’insinue partout, il ne peut en être exempt : lui aussi succombe – du moins fictivement – à une publicité ciblée lui proposant d’assister à un Manchester-Liverpool. Boniments s’achève d’ailleurs sur une (auto)critique de l’intellectuel. Si sa focalisation sur les mots laisse quittes les réalités qu’ils nomment, ne devient-il pas, à son tour, la marionnette de la « diversion » qu’il critique ?
Grand merci, Plume.
Question bête
Si je prends le livre comme un roman
Les « personnages » contemporains
C’est les Boniments ?
C’est un peu flippant de voir sous cet angle
Ça me fait penser à la description de leurs caractères
Si je le prends dans ce sens
J’entrevois comme un « anti conte «
Ou les personnages héroïques
Sont ramenés à leur « vie quotidienne «
La peur de l’ogre disparaît,
Le langage ne mange pas l’homme
Le mythe tombe
ça me va très bien de le prend ainsi
les mots sont des choses
(et les choses sont des mots?)
Les choses sont des mots ?
Peut-être que c’est ce qui leur donne leur auto- nomie ?
Ta question est compliquée pour moi
J’ai demandé au chien
Il ne m’a pas répondu
Mais il a saisi un bâton avec sa gueule
Si le bâton est coincé sous un meuble
Il aboie
Alors il y a peut-être quelque chose de
L’ordre des choses insaisissables dans
Les mots?
Francois, un petit détail, page 111 de Boniments tu parle de DMS. Il me semble qu’on dit DSM ( Diagostic and statistical manual etc).
Je n’ai jamais entendu ni lu DMS à propos de ce manuel de psychiatrie. Mais je suis peut-être dans l’erreur.
Effectivement c’est une erreur, et je m’en suis rendu compte après. Et j’en ai conçu une certaine colère contre moi, mais aussi contre la correctrice, dont j’aurais préféré qu’elle voie cette grosse faute plutot que de me supprimer un passage à la ligne sur deux – que j’ai passé deux heures à remettre.
Elle trouvait qu’il ne fallait pas aller à la ligne? (C’était pourtant pas ses oignons).
DSM pour le manuel de psychiatrie mais DMS pour « durée moyenne de séjour » qui sert d’outil à l’abjecte gestion capitaliste de l’hôpital.
elle trouvait surtout que j’allais à la ligne comme ça sans réfléchir
elle m’aurait changé des mots que ça m’aurait fait le même effet
non tomate ici ça ne va pas. disons courgette plutot
Ben oui ça me fait le même effet qu’à toi.
Et c’est quand-même marrant de penser qu’un écrivain écrit sans réfléchir à ce qu’il écrit. (Genre oh je vais l’aider un peu).
Mais oui quel toupet et en plus elle laisse une grosse coquille. Bon en tant que correctrice elle a du être payée au lance-pierre, c’est une punition suffisante pour n’avoir pas bien fait le job.
Et sinon il s’agit bien de Charles Pépin dans Huit fois debout ? J’ai parié une somme considérable donc j’espère que c’est lui et pas Enthoven
Bien vu. Enthoven est beaucoup trop occupé sur Twitter.
Disons plutôt : ” écrirait ”
“de penser qu’un écrivain écrirait sans réfléchir ”
(mon propos est plus clair comme ça)
attention paternalisme : surtout quand c’est là son 25ème livre et que c’est là une de vos toutes premières corrections
à y repenser, je vois là une perversité structurelle proche de la fiche de lecture de scénario
je suis payé pour corriger un manuscrit, je ne vois pas beaucoup de corrections à faire, du coup pour légitimer mon salaire (et m’asseoir dans le métier) j’invente des choses à corriger
comme souvent, pas de vices, juste des structures
“Pas de vice, juste des structures “.
Je voudrais tellement faire comprendre ça à plein de gens.
Mais plein de gens considèrent qu’être (ne serait-ce qu’un peu) determiné par des structures, ça va pas, c’est pas possible.
Cette affaire de détermination, parfois, les met presque encore plus mal à l’aise que le vice.
ça ne m’a pas échappé
les gens tiennent à leur liberté
J’ai beaucoup aimé votre livre qui permet d’y voir plus clair.
Je suis cependant un peu moins dur que vous avec Edouard Louis, je trouve que la lecture de Pour en finir avec Eddy Bellegueule + celle de changer méthode aborde ce qui a déterminé son ascension sociale (on peut en tout cas le déduire). On y comprend sa difficulté à être gay dans un environnement qui ne l’accepte pas. Consécutivement son rejet viscéral de tout son milieu social et de toutes les pratiques sociales attachées, ce qui le pousse donc vers les valeurs bourgeoises.
Il me semble que comme un méritocrate il ne dit pas : quand on bosse on réussit Normal sup. Il dit : des circonstances particulières (sociales) m’ont poussé à étudier sans relâche et donc à réussir Normal sup.
Je crois qu’entre le descriptif et ne narratif, la frontière est ténue. Et d’ailleurs son titre indique bien qu’il compte ici raconter une sorte de parcours exemplaire. Comment changer? Eh ben je vais te donner ma méthode. Et ma méthode c’est travailler.
Mais admettons. Admettons qu’il ne dise que : “des circonstances particulières (sociales) m’ont poussé à étudier sans relâche et donc à réussir Normal sup.” Cela serait encore très inconséquent sociologiquement. Et surtout très faux. Très approximatif. Très menteur par omission. Parce que c’est évidemment beaucoup plus compliqué que ça
De toute façon la fausseté de l’ensemble se reconnait immanquablement à la fausseté de la famille bourgeoise où il atterri, qui est une sorte de fantasme infantile, et qui n’existe pas une seconde. Ca ne vous aura pas échappé.
Edouard Louis est un grand falsificateur, c’est présent de livre en livre. Un jour il en fera de la grande littérature (mais il faudrait pour ça qu’il s’achète un style)
J’aime beaucoup le fragment legging parce qu’amour et course à pied sont mes deux passions. C’est des bons exemples, deux trucs simples comme l’enfance où le coaching est absurde.
En fin de ce fragments :
Pourquoi tu passes de “me dit-il /réponds-je”
à “Moi : / lui :”
à un dialogue avec tiret ?
Ça me fait un effet de dialogue de plus en plus incarné, toujours aussi absurde. Une absurdité plus présente, plus pressante.
Peut-être pour que le dialogue final soit au plus sec ?
– comment ai-je pu vivre avant toi ?
– Tu ne l’as pas pu. Avant moi tu ne vivais pas.
En fin de livre, l’absurdité de l’intellectuel qui “désenvoute” le livreur Uber me rappelle ce coach absurde qui explique à François qu’il ne savait pas.
Là où le libéralisme imprègne bien : Il se trouve que je porte quand même des baskets spéciales quand je cours. Et pendant l’amour aussi. Rien compris à mon coaching.
Moi le genre de choses qui me fait rire et qui n’appartient qu’à toi, François, ( je crois), c’est “statutairement inquiète “.
J’aimerais dire d’autres choses sur Boniments, dont un peu de critique (pardon), mais pour le moment je n’ai pas les idées suffisamment claires.
oui c’est un peu pour ça
et aussi parce que j’aime aller peu à peu au dialogue tiret, comme un glissement littéraire, comme si le récit prenait une autonomie, par rapport au contexte du livre
on a le temps
Je suis en train de lire Boniments, que je lis dans l’ordre, et je n’ai pas fini. Et je trouve que c’est un grand livre.
Précaution oratoire, mais pas uniquement. Je trouve que tout y sonne juste, drôle, subtil, pertinent, etc.
Mais je voudrais revenir sur votre texte consacré à “Transclasse” et au livre d’Édouard Louis, “Changer : méthode”.
J’ai lu tous les commentaires ci-dessus et je vous ai entendu en parler, François, dans une vidéo tournée dans une librairie parisienne.
J’ai été sidérée et je suis tombée de ma chaise (comme on dit) ou plutôt de mes deux ou trois chaises sur lesquelles mon cul est (plus ou moins bien) assis – assez logique.
Sidérée, arrêtée, car je ne m’y attendais pas.
Sidérée par le fait que votre ton était sans appel. Et que votre réaction à ce livre soit aussi éloignée de la mienne.
Arrêtée aussi sans doute par la violence que cela me faisait, à moi (même si je n’en conçois ni honte ni gêne ni blessure ni illégitimité, peut-être juste comme le sentiment que quelqu’un se trompe ou ne peut pas voir…), de constater à quel point “Changer : méthode”, un livre qui m’a bouleversée (comme tous les autres livres d’E. Louis) faisait sur vous – un mauvais livre, pas de la littérature, l’œuvre d’un falsificateur, la soumission à l’idéologie du mérite et à la valeur travail, Quand on veut, on peut, et autres blablas insupportables, en effet. Et le fait qu’il ne détaille pas comment il est passé d’une classe à une autre hormis en disant : j’ai travaillé…
Pour ma part, je trouve qu’il ne fait que ça, de le décrire en détail (mais sans l’expliquer ni le justifier ni le glorifier), de le faire vivre, de raconter comment c’est passé par son corps, et dans toutes ses parties (cheveux, dents, posture, allure, comment marcher, comment se tenir, comment manger, comment ne pas parler la bouche pleine, etc.). Une surveillance de son corps à chaque instant. Comment il faut se faire violence, et dans tous les instants, pour éviter l’humiliation, la moquerie, la condescendance (le pire ?), le mépris, le rejet. Comment il faut cacher, se rendre traître à ce qu’on est (et qu’on déteste). Etc. Les scènes dans la famille bourgeoise (que cette famille soit inventée ou fantasmée ou revue et corrigée, ou non).
Pour ce qui est du travail, il ne me semble pas qu’il fasse nulle part l’apologie d’un quelconque mérite.
Mais il décrit comment il travaille… parce qu’il n’a que ça – il n’a pas d’assurance, il ne peut compter sur une quelconque arrogance ou aplomb ou naturel bourgeois, il n’a pas de réseau, etc. Et il le fait de manière “scolaire”, en enchaînant les livres les uns après les autres, etc. Il ne connaît que ça, cette méthode.
Il me semble qu’il n’érige pas cette méthode en conseils, qu’il n’a pas fait un livre de développement personnel, une allégeance à la bourgeoisie, mais que par son titre il dit qu’il va décrire ses étapes à lui.
Que son livre (comme les précédents et comme d’autres avant lui) soit récupéré et adoré par la bourgeoisie, c’est exact (même si je connais beaucoup de bourgeois qui s’y sont ennuyés et qu’ils ne voient pas où est le problème, normal), mais ça ne lui enlève rien de sa puissance.
Si mon propre parcours de “transclasse” est très différent de celui d’Édouard Louis, je m’y retrouve – comme une évidence, qui m’aide et me nourrit. Et que les parcours des transclasses soient tous complexes et singuliers, Chantal Jaquet l’a en effet bien montré et expliqué.
Ma réaction à votre texte n’est donc pas théorique mais incarnée et reste politique (ou tout ça à la fois, mais sans doute un peu longue).
Il y a deux plans que vous semblez confondre. Deux plans qui sont deux étapes
1 comment un corps est, sans volontarisme, déterminé à passer d’une classe à l’autre. Par des circonstances extérieures, par une aspiration qui n’est pas volontaire. Un fait affectif objectif.
2 une fois cette aspiration établie, les efforts pour le coup “volontaires” pour se fondre dans la classe intégrée, ou pour y accéder véritablement.
Changer : méthode, parle du 2, pas du 1. Il parle, non du déterminisme, mais du chapitre volontariste.
Donc :
– d’une part il ne fait pas la moitié du boulot
– d’autre part il n’interroge pas ce volontarisme. Il ne l’évalue pas. Qu’est ce que ça veut dire vouloir à tout prix intégrer la classe que par ailleurs on pourfend en tant que calsse prédatrice, méprisante, parasite? – celle qui a “tué mon père” (il est vrai que Louis ne dit pas que ce soit une classe qui ait tué son père, mais des individus, cette individualisation de la faute étant également une stricte négation du bourdieusisme dont il se réclame.)
Il y a, je le répète, une autre occultation : celle de l’analyse de sociologique de 1 son aisance d’aujourd’hui dans l’habitus bourgeois 2 son succès auprès de la bourgeoisie, de son monde éditorial, de son théatre.
Ca fait beaucoup de manques
Ensuite, chose que je n’ai pas faite, il faudrait analyser en détail la phrase terriblement académique de Louis. Ainsi que la drôle de famille bourgeoise, inexistante qui lui fait accueil dans le livre. Bourgeoisie d’un autre temps où on se vouvoie, où on écoute du classique. Là est une zone de grande falsification. Dont on voit bien l’objectif : amalgamer aspiration à la bourgeoisie et aspiration à la culture, afin de rendre vertueuse cette volonté d’assimilation. Amalgame très discutable, à l’heure où la bourgeoisie écoute Beyonce et regarde The white lotus.
Je le maintiens : pour la vérité on ne peut pas compter sur lui.
Merci beaucoup pour votre réponse, qui me semble se décaler sur d’autres terrains que ceux que j’avais abordés.
Je ne sais pas si je confonds deux plans, peut-être, mais je ne suis pas sûre que le premier soit une étape préalable au second. Les choses se ne passent-elles pas toutes en même temps ? D’autant qu’on est le plus souvent inconscient de ce premier plan, ou peu conscient de sa complexité. Qu’on peut tenter de comprendre en partie, mais bien plus tard. Et parce qu’on n’en a jamais fini de jouer sur et avec ces plans, même quand on a accédé à l’autre classe.
Par son titre même, “Changer : méthode” annonce la couleur (raconter comment ça se passe, et non pas s’attaquer au déterminisme, comme le ferait un ouvrage de sociologie) : comme c’est un roman, il va incarner.
N’est-ce pas pleinement son boulot d’incarner et non pas d’évaluer ?
Pour prendre un exemple au hasard, dans “En guerre”, est-ce que vous incarnez, jusque dans les parties les plus intimes, ou est-ce que vous évaluez ?
Quand E. Louis passe d’une classe à une autre, dans ce temps-là qui est celui du roman, est-ce si sûr qu’il l’a pourfend en même temps ?
Pour sa part, et il le raconte dans d’autres livres, il a été éjecté de sa classe d’origine.
Dans d’autres cas (et peut-être est-ce aussi le sien), l’une des stratégies à l’œuvre (et Chantal Jaquet le précise) est de n’avoir précisément aucune conscience de classe, aucune conscience politique, afin que cet aveuglement permette plus facilement le passage. Ce n’est que plus bien tard (ou jamais) qu’on peut développer (ou non) une conscience de classe et revenir sur ce qu’on a fait. N’y a-t-il pas de nouveau le temps du roman et le temps de l’Édouard Louis d’aujourd’hui ?
Quant au rapport entre bourgeoisie et culture (et même si la bourgeoisie peut aujourd’hui écouter Beyonce, ce qui de nouveau n’est pas le temps du roman de E. Louis) , vous savez mieux que moi que c’est lié, parfois inextricable, et volontairement, pour poser le goût, le bon goût, comme une donnée naturelle de la bourgeoisie (ce goût, comme dit Bourdieu, qui est le dégoût du goût des autres, et qui est, rappelle-t-il, une des choses qui peut faire rougir quelqu’un). Donc quand on intègre la bourgeoisie intellectuelle et pas toutes les bourgeoisies, on accède à la (à sa) culture et on trouve ça très intéressant.
Est-ce que vous ne demandez pas à E. Louis de faire autre chose que ce qu’il a fait : un roman ?
Mais peut-être je me trompe en le considérant comme un roman (le mot ne figure pas sur la couverture, mais ce n’est pas un “récit”). Autobiographique, mais un roman.
Mais est-ce vraiment le problème ?
“D’autant qu’on est le plus souvent inconscient de ce premier plan, ou peu conscient de sa complexité. Qu’on peut tenter de comprendre en partie, mais bien plus tard. Et parce qu’on n’en a jamais fini de jouer sur et avec ces plans, même quand on a accédé à l’autre classe.”
“N’y a-t-il pas de nouveau le temps du roman et le temps de l’Édouard Louis d’aujourd’hui ?”
Propos assez singuliers. Ce que vous appelez le temps du roman n’est précisément pas le temps du roman. Le temps du roman, c’est le temps de l’écriture du roman : Edouard, trente ans, 2020. Et puis il y a le temps des faits : Edouard, 15 ans, 2005. Ce que j’attends de Louis n’est pas un roman ou que sais-je mais de la littérature, c’est à dire de la vérité, de l’intensité, du style. Le recul dont vous parlez, c’est justement celui de la littérature, par quoi un auteur s’analyse quinze ans après (je l’ai fait). Oui, Edouard de quinze ans est politiquement inconscient, je l’ai dit, mais si Edouard de 30 ans l’est aussi, s’il est encore incapable d’analyse et de lucidité, alors il ne faut pas écrire. Ou, s’il écrit, ne pas s’étonner qu’on trouve ça très faible
J’espère que vous ne me parlerez pas d’indulgence due à con âge. S’il n’a pas l’âge d’écrire, qu’il n’écrive pas.
Concernant la bourgeoisie, vous ne notez pas le coeur de ce que je dis. Ce que je dis c’est que la bourgeoisie peinte dans Changer : méthode est irréelle. C’est une bourgeoisie de Walt Disney (la Belle et le clochard) . Pourquoi ce mensonge? Pourquoi cette falsification? Vous raterez toujours le coeur du louisisme si vous ne prenez pas le temps de partir de ces questions là, simples.
Le coeur du louisisme est la falsification.
La falsification peut fabriquer de la littérature quand elle est assumée. Pour l’instant il ne l’assume pas. Il est un falsificateur honteux, ou inconscient – c’est à dire un mythomane.
En gros il y a deux écoles :
Comment s’attirer les faveurs de la bourgeoisie culturelle : écrire “En finir avec Eddy Bellegueule” ;
Comment s’attirer les foudres de la bourgeoise culturelle : écrire : “Histoire de ta bêtise”.
Bonjour,
parti pour me procurer “Notre Joie”, je suis ressorti de cette librairie avec “Boniments”. Ça arrive. Positiver (qui pourrait également figurer dans l’ouvrage) , il faut bien s’y résoudre. Je commence alors votre livre : “Libéralisme” / “la liberté n’existe que dans l’esprit en sommeil”. Belle entrée en matière pour moi dont la liberté de se procurer “Notre Joie” s’est arrêtée là ou celle du libraire de ne pas l’avoir commençait. Un libraire opportuniste par ailleurs, qui a réussi à me refourguer un livre que je n’étais pas venu acheter. L’honnêteté me pousse à préciser que j’étais surtout motivé à vous lire pour la première fois. Après vous avoir beaucoup écouter, je voulais connaitre votre prose. En cela, en me proposant comme alternative “le dernier Bégaudeau”, ce libraire m’a rendu service. Décidément, dans cette action j’ai l’impression d’avoir vécu bon nombre des phénomènes que vous décrivez dans l’ouvrage. Sont-ils notre quotidien ? Vous semblez l’affirmer en mettant en lumière leur irruption dans notre intimité, notre travail et nos loisirs. Grâce à vous, on les éprouve. Votre obsession de la précision des termes fait merveille dans cette entreprise de dévoilement de la mollesse, de la versatilité et de l’inconsistance. Vous êtes le critique totale, celui à qui on ne la fait pas, maniant le second degré et l’économie de moyen. Les armes stylistiques que vous choisissez permettent de vous tenir à distance, de vous éviter le ridicule d’une charge trop grandiloquente. Nul besoin de brandir un glaive surtout s’il s’agit de découper un pudding pourrait-on dire. C’est ce que je considère être vos précautions. Vous en prenez à quelques passages pour bien signaler que vous rester lucide sur la portée de vos écrits et votre rapport aux phénomènes que vous exposez. La dernière entrée, “Novlangue”, a fonction de précaution pour vous et pour le lecteur. Elle calme les ardeurs du lecteur et de l’écrivain. Les mots ne sont que des mots, ce qui compte c’est la beauté du geste.
Finalement je ne regrette pas d’avoir été orienté vers “Boniments”. Votre texte m’inspire une réflexion sur la notion de confort (non pas la “zone de”) en tant que constante du mode de vie bourgeois. Merci de stimuler “nos encéphales en sous-régime” par vos réflexions et de promouvoir Gueugnon avec autant de zèle.